24/10/2013

Gravity


Je pensais aller voir un film dans l'espace où la 3D allait servir à nous montrer bien tout partout combien c'est beau. Vu le casting Bullock-Clooney, je pensais que le réal n'allait pas résister à nous mettre au moins un petit flirt mignon. J'avais tort.

Gravity est un film d'épouvante. Epouvante dans le sens où il t'embarque, totalement, des premières minutes à la dernière, crescendo, en te faisant éprouver des sensations physiques de peur : palpitation, manque d'air, crispation musculaire. Si vous souffrez de troubles cardiaques et êtes bon public, n'allez pas voir ce film. Cet avertissement devrait être mis à l'entrée des cinémas.

Je ne vais donc être d'aucune originalité et abonder dans le concert généralisé global de louanges à propos de ce film : c'est vachement bien. Voilà. Super utile comme billet non ? En fait, j'ai deux-trois autres trucs à dire. Pour ceux qui ont vu ou pas le film, d'abord, puis il y aura une SPOILER ALERT à laquelle il faudra arrêter votre lecture si vous n'avez pas vu le film et revenir après l'avoir vu, deal ?

même choisir des photos pour illustrer le billet est un enfer, ce sera donc la dernière

Ce film provoque donc des troubles physiques délicieux, flippants, mais délicieux. Comme quand on est ado et qu'on regarde un film pour se faire peur. Les mêmes ressorts : un montage extrêmement précis et rythmé pour faire monter la sauce à chaque séquence flippante (c'est-à-dire toutes), des moments de respiration pour mieux surprendre, un montage sonore d'une efficacité à couper le souffle (littéralement) et des acteurs qui sont excellents pour montrer à quel point leurs personnages sont terrorisés (moi non plus je n'aimais pas trop Sandra Bullock, j'ai changé d'avis).

Alfonso Cuarón (le réalisateur donc) a toujours été très bon au niveau du rythme et de l'utilisation du son (Y tu mamá también, Children of Men), cette fois-ci il excelle. Et il le sait et il s'en amuse. Les premières phrases introductives du film évoquent le silence absolu qui règne dans l'espace par impossibilité de transmission du son, il en rajoute une couche dans les dialogues des premières minutes. Mais que se passe-t-il quand on est dans un silence absolu ? On entend le fonctionnement de notre propre corps. Tout le film est structuré et rythmé avec la respiration des acteurs. (Je ne serais pas étonnée qu'ils aient doublé certaines scènes en post production uniquement avec un concert de respirations.) La respiration et les battements de coeur, la plupart du temps inaudibles ou presque, juste là pour nous faire réagir physiquement, par réflexe, un peu plus fort. Ce qui est intéressant avec le son, c'est que souvent les gens ne le remarquent pas vraiment, ils se souviennent des images, des décors, de la musique, mais ne pensent pas au son, c'est là où Cuarón est bon : il nous fait marcher, crescendo, sans que l'on ne comprenne exactement comment il est possible que nous, dans ce fauteuil de cinéma confortable sur la planète Terre, puissions ressentir aussi bien un manque d'oxygène. 

Et évidemment, avec le son il y a des images qui ne sont pas mal non plus. On peut voir la Terre d'en haut, souvent, et on aurait envie de la contempler, d'avoir un moment pour tenter de comprendre au-dessus de quel continent on se situe, d'observer cette courbure avec ce lever de soleil, les formes des cotes et la couleur de l'eau, les étoiles et la voie lactée, va-t-on voir la lune ? C'est l'impression des premières minutes, c'est beau et on se réjouit de pouvoir regarder ça, on s'inquiète un peu aussi que le réalisateur profite de cette beauté pour la mettre en scène et nous mettre plein les yeux de "joli". Sauf que non, ici l'espace ne sert que de décor, il n'est PAS un personnage du film. Au contraire, on finit par oublier de le regarder. Il sert souvent de point de respiration entre deux crises d'angoisse. Et j'ai adoré ça, qu'on ne tente pas de nous jeter de la "qu'elle est belle notre planète bleue il faut la sauver" aux yeux. Le moment que j'ai trouvé le plus esthétique du film, l'image* que je vais probablement retenir longtemps, est une image où on ne voit pas l'espace du tout.

Le son, l'image, ok, mais qu'en est-il du scénario ?

Il est too much. Mais c'est assumé (je vous explique plus bas pourquoi) et à chaque moment où l'on commence à en vouloir à Cuarón, il rectifie d'une pirouette humoristique et en rajoute une couche supplémentaire. A chaque rebondissement, on se dit qu'il ne pourra pas aller plus loin, mais si, il y arrive, jusqu'aux dernières secondes. On en ressort physiquement sonné, pas par l'enchaînements des péripéties, mais par la montée en puissance des sensations physiques amenées par son montage sonore et visuel.

Et c'est là que la 3D entre en jeu. Grâce à elle, il arrive à nous provoquer encore plus de sensations, on comprend encore mieux l'apesanteur, elle en devient pénible mais fascinante, notre cerveau a du mal à analyser ce que voient nos yeux, à comprendre quel est le point de vue, où l'on se situe, quel est le sens et la vitesse du mouvement de caméra. Et évidemment, comme pour chaque vidéo que l'on peut voir de la sation ISS, on est fasciné par ce qui flotte. Ce qui fonctionne particulièrement bien en 3D. Elle sert donc le propos du film à merveille.

J'espère avoir réussi à vous convaincre, si c'était encore nécessaire, d'aller voir ce film. En 3D avec une salle bien équipée au niveau du son. Quand ce sera fait, et que vous aurez repris votre souffle, revenez lire la suite, ok ?

image gracieusement mise à dispositon par Même pas mal

Vous avez donc vu Gravity.

Vous doutez peut-être encore du scénario, c'est peut-être le truc le plus attaquable du film : une suite de péripéties où Bullock expérimente toutes les morts possibles : par asphyxie, par le feu, par choc physique avec des putains de déchets spatiaux et même par noyade. LOL. Parce que oui, c'est comme ça qu'il faut le prendre (enfin à mon avis, tu fais comme tu veux). Cuarón ne cherche pas à convaincre le monde que son scénario est profond, non : il est efficace et c'est son but ! Il a probablement appris de ses erreurs (je pense par exemple au happy end biblique de Children of Men), ici, l'ambition est de rendre l'expérience du spectateur la plus intense possible, grâce aux outils cinématographiques. La suite de péripéties n'est là que pour pouvoir en utiliser le plus possible et il nous le dit lui-même en glissant des gags visuels à plein de moments comme le Rubik's cube qui flotte ou l'hilarante grenouille finale (hommage aux cuisses de Bullock ?).

Je n'aurais jamais, jamais, jamais imaginé que c'est Bullock qui s'en sort et Clooney qui meurt, c'est contraire à tout ce qu'un "spécialiste des goûts du public" aurait conseillé : ne faites PAS mourir Clooney. Le moment où Bullock hallucine sur le retour de Georges est très parlant d'ailleurs, on se dit que ça y est tout va devenir complètement improbable et/ou mièvre, c'est une pirouette de trop, tout ça juste pour nous prouver que quand il n'y a pas d'air, effectivement l'espace est silencieux, pffff. Sauf que non : il est mort et elle va crever. Et le réalisateur nous surprendre encore une fois.

C'est pour cette raison exacte, le scénario qui ne sert qu'à soutenir les effets du film, qu'il faut absolument voir ce film en salle (sans possibilité de mettre pause, sans smartphone qui distrait), si possible dans de bonnes conditions sonores et en 3D.

Je ne sais pas si Montjo aura le temps, mais j'adorerais qu'il nous en dise plus sur la lumière dans ce film. Pour ma part j'ai totalement oublié la possibilité même d'une caméra et je n'ai absolument aucune idée de comment un film pareil peut être conçu. Ce qui en rajoute une couche dans la magie de l'expérience.

Mais voilà : ce film est une expérience cinématographique. Et ce n'est que ça. Je ne crie pas au génie, mais j'ai adoré vivre cette expérience. C'est pour ça que j'aime le cinéma, sa capacité à me faire ressentir des choses aussi fortes. Ce qui arrive également avec des films intimistes, contemplatifs et intellos aux scénarios torturés... mais pas de la même manière. Je prends un énorme plaisir à voir Gravity, mais tout autant à voir My Dinner with André. Le centre du plaisir n'est simplement pas situé au même endroit dans mon cerveau pour ces différents types d'expériences. Ce qui relie ces films ? Une réflexion réussie sur comment lier de manière la plus intime possible la forme et le fond.


Si vous avez des critiques sur Gravity, je me réjouis de vous lire, c'est un film intéressant à débattre.
Concernant les critiques scientifiques, un pannel d'astro-physiciens s'est penché sur les aberrations du scénario (lien en anglais).


* Pour ceux qui ont vu le film, je parle de cette image-là.

EDIT : la scène très émouvante où Sandra Bullock parle à quelqu'un sur la surface de la Terre, vous vous souvenez ? Et bien voici l'autre côté de l'appel, Aningaak, un merveilleux spinoff signé Jonas Cuaron (le frère du réalisateur de Gravity donc) et maintenant on comprend, en fait, Gravity, c'est Arizona Dream !


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